Hommage à Alain ANDERSON

Hommage à Alain ANDERSON

Parler le basque, défendre cette langue et s’appeler ANDERSON, valurent à Alain bien des questions mêlées de doutes ou d’ironie.

L’explication était pourtant simple.

Sa maman était une jeune fille de BAÏGORRY qui épousa un touriste anglais. Ce père disparut tôt dans des conditions douloureuses et Alain fut élevé avec son jeune frère par sa mère.

En 1940, BAÏGORRY était en zone occupée et il ne faisait pas bon porter un nom anglais. Les deux frères encore bien jeunes durent fuir en Angleterre. Fuite par la montagne, l’Espagne, grâce à un réseau de passeurs ; il vécut en Angleterre jusqu’à la Libération.

Pensionnaire, durant un temps au lycée d’Agen, pendant les vacances Alain aidait sa mère qui tenait une petite pension de famille, TOPETENIA, la maison de BAIGORRY. De cette expérience, il garda un talent certain pour la cuisine et un surnom : TOPET.

Mais c’est à Bordeaux, en fac de médecine que j’ai vraiment connu Alain. Nous formions un groupe de quatre ou cinq bécistes louant deux vieux appartements au 66 rue des Remparts. L’ambiance était chaude voire explosive et les casse-croûtes de dix-sept heures finissaient souvent à minuit.

Au BEC et avec l’équipe de médecine Alain s’illustrait à l’aile, du moins quand le ballon arrivait jusqu’à lui, à une époque où le demi-d ’ouverture tapait plus souvent en touche qu’il ne faisait sa passe.

Evidemment, il pratiquait la pala avec les nombreux étudiants basques et participait, et nous faisait participer, au repas annuel des basques de Bordeaux. Nous chantions tous en basque …enfin plutôt en espéranto-basque.

Pour le canular des écossais à Bergerac, nous avons eu, grâce à Alain, un nom qui sonnait bien, et pour un écossais un basque ne peut être pire qu’un anglais.

En fin d’études, il m’entraina à l’internat de l’hôpital de Dax où il était déjà bien inséré, estimé et aimé. Les virées dans les restaurants de Chalosse, sur la plage de vieux Boucau, s’effectuaient dans une Alfa Roméo qu’il n’avait pas payé cher et dont le moteur explosa à Saint Paul alors que nous rentrions à vive allure de Bordeaux.

C’est avec les Lions de Dax, dans l’Alfa (avant l’explosion) que nous étions allés jouer à Coïmbra. Retour long et difficile du pays du Porto.

Il nous fallait quand même conclure une longue vie d’étudiants. Nous chantions toujours : « Nous sommes les étudiants du BEC » sans nous rendre compte que nous n’étions que des collégiens attardés.

Depuis le lycée, ce sont les mêmes blagues, les mêmes rires, les mêmes farces que nous avons perpétrées. Mais c’est aussi toujours les mêmes amitiés que nous avons gardées.

Après un passage comme interne à la clinique d’Urt, Alain est venu partager un petit appartement que j’habitais à Bordeaux, place Sarrail. Ce fut la dernière année, la thèse, et le mariage avec Malou. Tout les réunissait et ils ont fondé une famille unie à Saint-Jean-Pied de Port où Alain a posé sa plaque.

Bon père de famille, excellent médecin et citoyen respectable, pendant cinquante ans je n’ai malheureusement que trop rarement revu Alain. La vie d’adulte et les responsabilités nous avaient enfin rattrapées.

Mais qu’importe, la rue des Remparts, l’hôpital de Dax, la place Sarrail, c’est là que s’ancre mes souvenirs. Ai-je tort de ne pas en garder d’autres ? Surement. Mais ces souvenirs sont si beaux !

C’est eux qui restent et qui resteront jusqu’à mon départ. Notre mémoire s’éteint peu à peu, mais l’obscurité voile d’abord le passé récent et les anciens souvenirs restent les derniers éclairés. C’est là notre ultime richesse, elle ne se dévaluera pas : son or est inaltérable.

                                                                                         Jean-Pierre MOTHE